Audition SAEP (Sénat)

 

Saint-Mandé, le 11 avril 2011.

Le Syndicat de l’Association des Editeurs de Presse a été créé en février 2010, émanant de l’Association des Editeurs de Presse initié en décembre 2008 dans le cadre des Etats Généraux de la Presse.

Nous représentons aujourd’hui 60 éditeurs, correspondants à 240 publications pour une diffusion de 50 millions d’exemplaires.

La majorité de nos adhérents sont des petits et moyens éditeurs sur la base d’un CA entre 4 et 20 M€ ayant pour la plupart des titres à centres d’intérêts.

Le syndicat est piloté par un bureau composé de cinq membres élus pour deux ans par une assemblée générale des adhérents.

Pour bien comprendre notre existence, nous aimerions revenir sur un constat où aujourd’hui vous avez en ce qui concerne la presse spécialisée magazine trois syndicats majeurs, le SPPMO, le SPM et la FNPS qui représentent environ 150 éditeurs sur un total de 980 toutes messageries confondues.

Le faible taux d’adhésion peut s’expliquer de deux manières. La première le coût des cotisations élevées qui ne permet pas à beaucoup d’entre nous d’adhérer à ces syndicats, et la seconde c’est que ces mêmes syndicats ne comprennent pas toujours les préoccupations réelles des éditeurs, ne partageant pas les mêmes intérêts professionnels.

Il faut avouer que la tenue des Etats Généraux de la Presse a permis à beaucoup d’entre nous de prendre conscience des enjeux sur le devenir de la distribution de la presse et sur les réformes qu’il convient d’envisager dans ce secteur. C’est pourquoi nous souhaitons exprimer le fonctionnement et notre analyse du marché du réseau de distribution.

Si nous reprenons la chronologie des faits depuis la présentation du Livret vert en janvier 2009, il y a eu les préconisations de Bruno Lasserre pour lesquelles nous avions émis un avis favorable concernant la réforme du CSMP ( Créé par l’article17 de la loi Bichet), afin de mettre en place une autorité administrative indépendante en soulignant qu’il était préférable que les décisions soient arbitrées par une autorité indépendante, sous certaines conditions, que de subir des décisions prises par les mêmes acteurs dans l’intérêt toujours du plus fort.

Il faut bien comprendre que l’enjeu le plus couramment mis en exergue, concerne la distribution de la presse citoyenne pour des raisons évidentes de liberté de la presse et droit à l’information.

Cette préoccupation louable des Pouvoirs Publics ne doit pas occulter les enjeux économiques et sociaux de la presse magazine. Les dérives concurrentielles et les surcoûts liés aux acquis sociaux d’une certaine messagerie sont en fait supportés par tous les éditeurs à travers les barèmes des messageries.

En effet, la mutualisation des coûts est supportée par tous les éditeurs, dans l’intérêt collectif, ce qui permet de lisser les charges fixes et de les amortir grâce à l’ensemble des publications distribuées.

La situation des entreprises du secteur est extrêmement tendue. Elles doivent faire face à une crise structurelle (concurrence internet et augmentation du coût réseau) et à une crise conjoncturelle (baisse de la consommation et des recettes publicitaires).

Une étude d’une société indépendante (Plimsoll) classe ainsi les 550 premières entreprises du marché en terme de rentabilité :

N° d’entreprise Marges brutes Dette en % du CA
193 89

88

72

108

12,4 % 5,9 %

1,7 %

0,3 %

-9,9 %

0,3 % 1,2 %

2,5 %

7,3 %

21,3 %

550 (total du panel) 5,6 % 2,2 %

On s’aperçoit que la situation est extrêmement préoccupante, puisque 268 sociétés ont une marge brute inférieure à 3 %. Par ailleurs, seulement 89 d’entre elles déclarent une marge brute de 5,9 %.

Une augmentation des barèmes des messageries entraînerait inévitablement des défaillances et des pertes d’emploi massives. Par ricochet les niveaux 2 et 3 seraient également touchés remettant en cause l’équilibre global de la chaîne économique. De plus, le CSMP a lancé une consultation sur la modification de rémunération des dépositaires et des diffuseurs. Qui doit payer ? Les messageries ? Les éditeurs ?

La réduction de l’offre par élimination des acteurs les plus faibles est une solution contre-productive qui favorisera, certes, les leaders du marché mais entraînera une baisse globale des ventes préjudiciable pour tous les acteurs.

Il faut reconnaître qu’un taux entre 47% et 54 % (Publications à centre d’intérêt) prélevé par les messageries sur les recettes des ventes, n’est pas vraiment bon marché. Mais encore une fois, nous avons fait le choix de préserver l’intérêt général dans le cadre de notre adhésion à la coopérative, et non celui du choix économique sachant que le coût de distribution dans les pays anglo-saxons et en Allemagne est de 50 % du prix facial dans un système de réseau privé.

Malgré tout et à aucun moment, les petits et moyens éditeurs ont reçu des subventions des pouvoirs publics (à titre de rappel la presse quotidienne perçoit des subventions à hauteur de 12 M€/an) de plus le réseau des diffuseurs à obtenu des aides consenties par l’Etat réparties sur l’ensemble des 30 000 points de vente pour un montant de 50 M€ plus une rallonge de 12 M€ promis par le ministre de la culture lors du Congrès de l’UNDP.

Ceci dit, il est nécessaire de moderniser notre réseau et de l’adapter aux conditions commerciales exigées par les consommateurs et de développer la capillarité de nos points de vente, mais le traitement ne peut pas être identique entre un marchand spécialiste et un point de vente complémentaire ?

Voyez-vous au regard de toutes ces décisions et de toutes ces actions, il y a un vrai décalage entre ceux qui reçoivent et ceux qui payent malgré les relations de dépendance qui nous lient car il n’y a pas d’éditeur sans réseau et pas de réseau sans éditeur.

Maintenant, si vous le voulez bien nous pouvons identifier la position de beaucoup d’éditeurs dans le cheminement des résolutions prises par les messageries et soumises à l’approbation du CSMP, dès lors que ces décisions touchent le fonctionnement de l’ensemble de la profession.

Dans le cadre de la loi du 2 avril 1947, chaque éditeur représente une voix quelque soit sa taille ou son chiffre d’affaires. Il est démocratique de penser que les votes soient au bénéfice de tous sans aucune distinction d’avantages ou de partialité.

Seulement dans les faits cela ne se passe pas de façon aussi transparente, car depuis des décennies toutes les décisions votées lors des Assemblées Générales préalablement débattues au sein des Conseils de gérance ou des Conseils d’administration, ne sont pas en fait entérinées par les éditeurs présents, mais par les Présidents de coopératives, grâce au quorum, qui détiennent la majorité des pouvoirs et obtiennent la décision finale qu’ils souhaitent adopter. (Le nombre de pouvoirs collectés par le Président n’est pas limité)

Qu’ont fait les Syndicats d’éditeurs pour impliquer leurs adhérents dans les choix et les décisions qui les concernaient et les engageaient ? Rien, strictement rien.

Le plus bel exemple, c’est sur la mise en place de l’assortiment (décision sur laquelle je reviendrai plus loin), la mesure a été adoptée par les Conseils de gérance de Presstalis, sans passer par le vote des éditeurs en Assemblée générale, elle a été directement soumise à l’approbation du CSMP sur les recommandations de la Commission des Normes et bonnes pratiques et la bénédiction de certains Syndicats d’éditeurs.

Si nous réfléchissons à une réforme du CSMP, nous devons nous inscrire dans une logique d’un CSMP indépendant. Nous ne pensons pas, compte tenu de l’évolution de notre métier, que des représentants de la SNCF ou d’Air France soient aujourd’hui directement concernés par les sujets traités au CSMP.

En revanche, sur les neuf représentants des organismes professionnels de la presse les plus représentatives vous avez déjà trois représentants du même syndicat SPM dont M. J.P. Roger, Président du CSMP. Par ailleurs, ces mêmes personnes sont aussi présentes dans les conseils de gérance ou conseils d’administration des messageries. En fait, ils peuvent cumuler plusieurs mandats, même si ceux-ci sont incompatibles avec le bon fonctionnement de l’institution. Ce qui est le plus étonnant, c’est qu’aucun de ses membres n’est élu mais coopté selon les us et coutumes par le Conseil Supérieur.

Une fois, que l’on aura corrigé ces dysfonctionnements et réparti équitablement les représentants de cette institution, oui nous sommes favorables à la transformation du CSMP en une véritable instance professionnelle dotée de la personnalité morale et d’un pouvoir normatif d’autorégulation du secteur. Car il est devenu nécessaire de faire évoluer la loi sans en modifier les équilibres fondamentaux, mais il reste un point important du règlement intérieur à résoudre, l’article 10 concernant les frais de fonctionnement du CSMP, qui sont actuellement assurés par les sociétés de coopératives de presse sachant que Presstalis représente 80 % de ce financement et les MLP 20 %.

Si nous souhaitons tous une meilleure gouvernance du système de distribution de la presse en France, il est certain que l’indépendance financière éviterait de créer des lobbying qui souvent parasitent la souveraineté de notre institution.

Maintenant, si nous revenons sur le vote du 18 novembre 2010 par le CSMP, concernant la mise en application des règles de l’assortiment, on ne peut que constater que la concertation n’a pas fonctionné, contrairement à ce que certains ont indiqué.

Cette réforme concerne tout le monde. Pourtant, celle-ci a été discutée en catimini dans le cénacle du CSMP et de sa « Commission des normes et bonnes pratiques », comme malheureusement trop souvent en France lorsque de gros intérêts sont en jeu. Conséquence logique, tout le monde ignore ce qui se trame réellement dans notre dos, des professionnels du secteur (éditeurs, journalistes…), aux décideurs publics, en passant par les premiers intéressés, les lecteurs.

Si l’assortiment devient le nouveau mètre-étalon de la distribution de la presse en France, les dommages causés seront immédiats et surtout irréversibles. Les diffuseurs décideront arbitrairement quels titres le public pourra ou non acheter, sans que celui-ci en ait même forcément conscience. Pire, on peu craindre que certains réseaux de diffusion appartenant à des éditeurs, auront la tentation, dans ces conditions, de privilégier les magazines « maison » et de pousser leurs concurrents hors des linéaires. Dans une démocratie comme la nôtre, une telle évolution pose donc un réel problème en termes de pluralisme et de diversité : au nom de quoi des points de vente et de grands groupes industriels pourront demain dicter ce que les citoyens de notre pays peuvent lire ou non ?

Ces évolutions ont été présentées comme une solution pour sauver les éditeurs, mais, dans les faits, seuls les intérêts des plus gros seront préservés et l’impact sera considérable en termes d’emploi pour les autres. Incapables de trouver des relais de croissance, les grands groupes de presse avancent masqués via le CSMP, pour obtenir ce mécanisme, qui leur permettra d’évincer les petits et moyens acteurs et, in fine, se repartager l’intégralité du secteur. Ils seront alors libres de constituer des oligopoles et de décliner leurs titres phares, thèmes par thèmes (cuisine, décoration, bricolage, voyage, art de vivre, spectacle, etc.), selon des logiques de marque, pour combler le vide laissé par les titres et les éditeurs qui auront disparu. Soit la négation même de toute notion de choix, d’abondance et de concurrence.

Par ailleurs, une alternative a été proposée et votée le 18 septembre 2010 sur la définition du « Titre vendeur », ce qui nous semble un ajustement qui correspond mieux à la problématique du réseau et des diffuseurs. De plus le vote de la résolution à l’AG des MLP du 29 mars permet désormais à chaque éditeur, à sa demande, d’être soumis pour un ou plusieurs titres à l’application de l’assortiment.

Vous n’êtes pas sans savoir, que les éditeurs ont déjà voté les mesures GTI (mise à zéro des quantités fournies aux points de vente pour des titres non vendeurs) et le plafonnement des quantités. Empiler des réformes comme des millefeuilles sans veiller à ce qu’elles soient réellement appliquées, c’est l’arbre qui cache la forêt.

Dans un climat économique en pleine mutation, il faut préserver l’offre de la presse et résoudre le problème de notre réseau. Nous avons à notre disposition deux outils qui peuvent d’une part soulager la manutention des flux et d’autre part clarifier le linéaire.

Les mises à zéro des points de vente non vendeurs doivent être appliquées sans aucune dérogation dans le cadre du dialogue entre l’éditeur, le dépositaire et le point de vente.

De la même façon, nous avons identifié la charge du point de vente et ses quantités, le plafonnement devrait être appliqué au tirage de la parution et non au réglage du titre. Le vrai problème réside dans la profondeur de l’offre pas dans sa largeur, nous avions admis une moyenne de 15 titres au m/linéaire, nous en sommes aujourd’hui à 12 titres au m/linéaire.

La presse en chiffres :

 

  • 4588 titres, dont 106 quotidiens, 1094 hebdomadaires, 1328 mensuels, 2065 trimestriel et plus.
  • 6,940 milliards d’expls en diffusion totale annuelle.
  • Un CA de 10,6 milliards d’€, dont 56 % issus de la vente et 44 % de la publicité.

 

Les petits et moyens éditeurs représentent la plus grande majorité en nombre d’éditeurs, 40 % du marché des publications et 20 % du CA généré par les ventes.

Commentaires sur la proposition de loi

A l’inverse des recommandations du Rapport Lasserre, la PPL suggère que ce soit le CSMP rénové qui régule avec un éclairage juridique apporté par l’Autorité de Régulation de la Distribution de la Presse (ARDP). Cela fait craindre légitimement que le secteur soit régulé par ses acteurs dominants, compte tenu du mode de représentation des éditeurs dans les syndicats dits représentatifs.

Pour pallier ce risque nous faisons trois propositions :

1. Une grande facilité de saisine directe de l’ARDP, qui doit être un gendarme assurant que les petits éditeurs ne font pas les frais des décisions des grands éditeurs.

 

A cet égard, il convient de rappeler que c’est la kyrielle de “petits et moyens éditeurs” qui assure l’amortissement des charges fixes du réseau, permettant à la presse d’opinion politique et générale d’être diffusée à un coût abordable. Cette opposition permanente entre une presse “noble” et une presse secondaire méconnaît toutes les réalités de la solidarité objective qui existe entre toutes les catégories de presse, comme nous l’avons démontré précédemment.

Or, la représentation de la majorité des éditeurs n’est pas assurée dans ce CSMP rénové, qui aura pourtant vocation à réguler l’ensemble du secteur.

D’où l’importance de pouvoir saisir le “Gendarme” plus facilement et directement.

2. Mettre en place des mécanismes de consultation directe de tous les éditeurs, par des procédures de consultation publique sur les décisions structurantes pour l’avenir du secteur.

 

3. Assurer une représentation des éditeurs “non-inscrits”, “non-alignés”… avec une représentation du Syndicat de l’Association des Éditeurs de Presse au sein du CSMP, ce qui ne semble pas nécessairement acquis dans l’état actuel du texte. Peut être faudrait il qu’il y ait plus de membres au sein du collège ?

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