La Croix – 03/01/18

La presse prise dans l’étau de sa distribution

Par Aude Carasco, le 3/1/2018 à 05h53

De nouveau en crise, la messagerie Presstalis a bloqué le quart du chiffre d’affaires issu des ventes de presse des éditeurs, mettant toute une filière en difficulté et au pied du mur.

L’esprit de la loi Bichet de 1947, voulant que chaque citoyen ait accès à toutes les publications quel que soit son lieu de résidence, survivra-t-il à l’état de santé désastreux de Presstalis ? Le principal distributeur de presse, qui achemine 4 000 titres de presse jusqu’aux marchands de journaux, a achevé l’année 2017 avec un déficit de trésorerie de 37 millions d’euros (pour un chiffre d’affaires d’environ 120 millions).

Et ses pertes d’exploitation pourraient atteindre 15 millions d’euros selon La Correspondance de la presse. Acculé, Presstalis a décidé de retenir, fin 2017, de façon provisoire le quart du chiffre d’affaires issu des ventes qu’elle aurait dû verser aux éditeurs jusqu’à fin janvier 2018.

Une facture de 900 000 euros

C’est un « choc industriel », confie un éditeur, qui évalue sa facture à 900 000 €. Et une vraie menace pour des publications à l’équilibre déjà fragile. L’annonce de ce gel a provoqué une levée de boucliers, tant des marchands de journaux que des éditeurs de publications indépendantes.

Les premiers n’ont pas de mots assez durs pour critiquer les dysfonctionnements de Presstalis « au niveau de la relation aux clients, du réassort, de la qualité des approvisionnements, de la facturation, des délais de livraison », énumère Pierre Bloch, porte-parole de l’Association pour l’avenir des diffuseurs de presse (AADP).

Les seconds ont menacé fin décembre d’engager des procédures contre Presstalis, accusant les gros éditeurs qui cogèrent la messagerie d’être « à l’origine de toutes les difficultés que connaît la filière de distribution de la presse ».

Tous se rejoignent sur le diagnostic. « Nous sommes au bout du bout » du système, estime Pierre Bloch. « Le fait d’être au pied du mur a l’intérêt de forcer tous les acteurs à ouvrir les yeux et à affronter de concert cet enjeu important, renchérit Louis Dreyfus, le président du directoire du groupe Le Monde, l’un des administrateurs de Presstalis. Toute la filière doit travailler ensemble à une solution pour retrouver un modèle pérenne fondé sur le même principe du pluralisme, c’est-à-dire de permettre aux marchands de journaux de vivre et aux petits éditeurs d’être distribués ».

L’Etat n’entend pas rester inactif

Il fait confiance à Michèle Benbunan, appelée à la mi-décembre au chevet de Presstalis. Cette spécialiste de la distribution des biens culturels, rencontre depuis les représentants de toute la filière en vue de présenter autour du 15 janvier un plan de « transformation du modèle économique de Presstalis ».

L’État, qui avait sauvé in extremis Presstalis de la faillite fin 2012 et soutenu avec les éditeurs une vaste restructuration l’année suivante, n’entend pas rester inactif. Le gouvernement a confié une mission sur le sujet à Gérard Rameix, l’ex-président de l’Autorité des marchés financiers, qui devait rendre sa copie à la fin 2017.

De son côté, le tribunal de commerce a nommé une administratrice judiciaire, Hélène Bourbouloux, qui s’est taillé une solide réputation dans les restructurations délicates en trouvant des repreneurs à Vivarte.

Dans le cas de Presstalis, il s’agit davantage de mettre toutes les cartes sur table. « Presstalis doit se concentrer sur son corps de métier : la distribution de l’imprimé », estime Louis Dreyfus, attribuant en partie la brusque « dégradation des comptes et de la qualité de services » à des « investissements inopportuns » dans des services numériques comme l’application mobile Zeens.

Une course aux volumes des éditeurs

Les difficultés de Presstalis, modèle unique au monde de coopérative de distribution de la presse, se sont aussi accélérées avec la crise et les mutations de la presse : baisse de la vente au numéro, portage, abonnements papier ou numérique. Alors que le système de facturation n’a pas évolué. « On nous facture sur les titres que nous mettons en rayon et non sur les ventes réalisées, d’où une course aux volumes des éditeurs qui veulent aussi être désormais vendus dans les supérettes », souligne Pierre Bloch.

Les marchands de journaux, qui dénoncent une grande opacité, voudraient être associés aux décisions, en participant à la gouvernance confiée aux éditeurs. Ils prônent aussi « un raccourcissement du circuit », de façon à mettre en relation directe éditeurs et marchands de journaux, avec enfin un système numérique plus efficient, voire des synergies avec la messagerie concurente, les Messageries lyonnaises de presse (MLP). Des pistes désormais évoquées par d’autres acteurs.

–––––––––––––-

Presstalis, premier distributeur de presse

Nouvelles Messageries de la presse parisienne (NMPP), appelées Presstalis en 2009, acheminent jusqu’aux 2 500 points de vente 75 % de la presse française (4 000 titres) : la totalité des quotidiens nationaux et les trois quarts des magazines.

Jusqu’en 2011, Presstalis était une Sarl détenue à 51 % par les éditeurs et à 49 % par Hachette SA (Lagardère). Le 1er juillet 2011, le groupe Lagardère a cédé ses parts et Presstalis (1 300 salariés en 2016) est devenue une société de messagerie de droit privé, administrée par deux coopératives d’éditeurs (l’une pour les quotidiens, l’autre pour les magazines). Les éditeurs de presse sont à la fois ses clients et ses actionnaires.

Comme les Messageries lyonnaises de presse (MLP), son concurrent (depuis 1991), Presstalis est régie par la loi Bichet du 2 avril 1947 (plusieurs fois modifiée), qui garantit le pluralisme de la presse, à travers un système de distribution égalitaire et solidaire, entré en crise avec celle de la presse au tournant des années 2000.

Aude Carasco

https://www.la-croix.com/Economie/Medias/presse-prise-letau-distribution-2018-01-03-1200903370

 

Laisser un commentaire