Le Monde – 03/01/18

Le distributeur de presse Presstalis dans une situation critique

Pour faire face à un besoin de trésorerie de 37 millions d’euros, Presstalis, le principal distributeur de la presse française, a gelé le quart des sommes qu’il aurait dû rembourser à ses clients. Au grand dam des petits éditeurs.

LE MONDE ECONOMIE | 03.01.2018 à 16h24 | Par François Bougon

Avec Presstalis, l’histoire se répète : cinq ans après une précédente restructuration, le principal distributeur de la presse française, qui permet à 4 000 titres d’être diffusés dans 25 000 points de vente, se trouve de nouveau dans une situation critique. Et le secteur de la presse a des sueurs froides. Les titres des articles de 2012 consacrés à la précédente crise pourraient être recyclés sans problème : « Un mois de juillet crucial pour Presstalis », « Les éditeurs se mobilisent pour sauver Presstalis »… Seule différence, c’est en plein hiver qu’il y a le feu à la maison.

Début décembre, pour faire face à un besoin de trésorerie de 37 millions d’euros, Presstalis, qui aurait eu en 2017 un résultat d’exploitation négatif de 15 millions d’euros selon La Correspondance de la presse, a annoncé à ses clients qu’il retenait un quart des règlements qu’il aurait dû leur verser jusqu’à fin janvier.

Nouvelle présidente

En juin, Anne-Marie Couderc, sa présidente, qui avait mené avec succès la refonte du groupe en le faisant passer de 2 700 à 1 200 salariés, avait été débarquée par les éditeurs actionnaires. Ils lui reprochaient d’avoir cherché à transformer la société en plate-forme de service orientée vers le numérique, tout en dégradant la qualité de la distribution, son cœur de métier.

Mme Couderc a été remplacée par Michèle Benbunan, en provenance de Hachette Livre. « Elle a pour mission de redresser l’entreprise et de revenir au métier de Presstalis, qui est de distribuer des exemplaires chez les diffuseurs et de veiller à ce que le groupe soit au service des éditeurs et des diffuseurs », explique un proche du dossier. Elle doit présenter en janvier son projet de transformation de l’entreprise.

Pour faire face aux imprévus de trésorerie, qui s’expliquent notamment par les indemnités des précédents plans, une mandataire ad hoc a été désignée. Et un effort a été demandé aux éditeurs sous forme de gel des versements. Mais, pour les « petits », « trop, c’est trop », lance Claire Dupont-Sorlot, du Syndicat de l’édition de presse française (SAEP) qui regroupe une soixantaine de petits et moyens éditeurs aux chiffres d’affaires compris entre 4 et 20 millions d’euros.

« Manque de transparence »

Ces derniers dénoncent le règne des plus puissants, en particulier des « premiers éditeurs », parmi lesquels Le Monde, Les Echos, Le Figaro, Bayard, Prisma Media… « Nous avons été mis devant le fait accompli », affirme Mme Dupont-Sorlot, qui dénonce un « manque de transparence » et rappelle que les « petits » ont contribué à sauver Presstalis en 2012 à travers une augmentation de capital. « Pour moi, cela a représenté 10 000 euros », une somme importante pour sa maison qui publie des revues destinées aux amateurs de modèles réduits et aux collectionneurs d’armes, essentiellement diffusées en kiosque.

Dans un communiqué diffusé fin décembre, le SAEP dénonce la volonté de faire porter les difficultés de Presstalis à l’ensemble de la filière : « La filière, ce sont 1 070 éditeurs, 24 000 points de vente, 35 dépositaires indépendants, 1 coopérative, 1 messagerie et le groupe Presstalis. L’amalgame consistant à transformer les difficultés du groupe Presstalis en difficultés de l’ensemble de la filière est inacceptable. »

Le syndicat a réclamé l’annulation du gel et « le versement sans délai des sommes prélevées aux éditeurs », ainsi que la tenue d’une assemblée générale de la coopérative de distribution des magazines (CDM) qui détient 75 % du capital de Presstalis. Faute de quoi, indique le SAEP, les éditeurs indépendants « seront contraints de conclure à la cessation de paiement effectif de Presstalis, et d’engager les procédures nécessaires ».

« Un risque filière »

« Il y a un risque filière, rétorque un administrateur de Presstalis, sous le couvert de l’anonymat. Si Presstalis devait tomber, il y aurait un impact sur l’ensemble de celle-ci. » D’où la mobilisation des pouvoirs publics. Une mission sur la vente au numéro a été confiée en septembre par trois ministères (économie, culture et action publique) à l’ancien président de l’Autorité des marchés financiers (AMF), Gérard Rameix, « afin de garantir la pérennité de ce relais essentiel de l’économie de la presse et, plus globalement, de la libre circulation des idées et du pluralisme », selon le communiqué officiel. M. Rameix devait rendre ses conclusions à la fin 2017.

Il y a cinq ans, déjà mobilisé, il avait recommandé une meilleure coordination entre Presstalis et son concurrent, les Messageries lyonnaises de presse (MLP). En livrant une guerre des tarifs, les MLP ont attiré des magazines, mais affaibli d’autant plus Presstalis.

La fin du système né de l’après-guerre, qui assure la diffusion équitable et impartiale de tous les titres au nom du pluralisme, semble imminente, un millier de points de vente disparaissant chaque année, malgré le soutien de l’Etat (6 millions d’euros sont prévus en 2018). Le principe d’égalité sera-t-il conservé ? C’est le souhait des « petits éditeurs », qui soupçonnent les plus puissants de vouloir y mettre fin. Du côté de la direction de Presstalis, c’est le silence. Joint par téléphone, le directeur de la communication, Christian Carisey, raccroche dès qu’on décline sa qualité de journaliste…

http://www.lemonde.fr/economie/article/2018/01/03/le-distributeur-de-presse-presstalis-dans-une-situation-critique_5237212_3234.html#JeyAgRE6UcWp0Rl2.99

 

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