Préambule n°2 à la Contribution SAEP dans le cadre de la Consultation publique sur le rapport de la mission de M. Schwartz

La face cachée de la lune ?

 

Le rapport de la mission Schwartz peut apparaître comme un pied de nez à une profession qui dans son ensemble peut être légitimement accusée d’inconséquence au vu de la situation dans laquelle se trouve la filière de distribution de la presse et la messagerie Presstalis : « puisque vous êtes aussi mauvais et incapables de vous entendre, on va vous placer sous les ordres du gendarme des télécoms, et vous ne serez plus qu’un chapitre mineur dans la loi sur les Postes et Télécommunications ».

 

Au-delà des aspects pratiques qu’offre une telle perspective pour libéraliser le secteur tout en conservant les acquis jugés incontournables de la presse d’information politique et générale, l’outrance d’une telle approche est un peut-être la montagne de glace qui cache la masse immergée de l’iceberg, voire un écran de fumée. On imagine mal en effet que l’avant-projet de loi soit accepté d’un hochement de tête par la majorité des éditeurs, des dépositaires et des marchands de presse, qui se chamaillent depuis des éons autour des écueils et des avantages à tirer du système de distribution de la presse dans le cadre de la loi Bichet de 1947 – non sans échecs patents, mais non sans résultat : la presse française est très largement distribuée –.

 

Mais si ce rapport est un chiffon rouge, il serait coupable de ne pas imaginer les intentions cachées derrière la provocation, en prenant les donneurs d’ordre, les auteurs et rapporteurs de la mission pour d’aimables plaisantins n’ayant pas lu et relu leur Machiavel en leurs jeunes années d’études. Au détour des lignes du rapport, un détail surprend : la création d’un poste de médiateur « du livre et de la presse ». Certes le médiateur du livre se tourne un peu les pouces, mais pourquoi surgirait-il à propos pour résoudre les conflits d’un secteur de la presse désormais administré par l’officine de contrôle des ondes hertziennes, du câble et de la fibre (ARCEP) ?

 

Le livre ?

 

Mais oui, voilà un plan « de retournement » en cas de rejet du rapport de la mission Schwartz et son avant-projet de loi par la profession.

D’abord, on fait difficilement plus proche dans l’esprit qu’un libraire et un marchand de presse, puisque beaucoup de spécialistes sont les deux. Ensuite, la régulation qu’opère le prix unique est un joli symbole et la libéralisation totale du secteur ne fait de mystère pour personne.

 

Et puis, rappelons les acteurs principaux au débat sur la presse :

 

  • À l’Elysée, Claudia Ferrazzi, énarque et conseillère culture d’Emmanuel Macron, est l’épouse de Fabrice Bakhouche, énarque de la même promotion et membre de l’équipe de campagne d’En Marche !, devenu directeur de la stratégie de Hachette Livre.

 

  • Au gouvernement, Françoise Nyssen, ministre de la Culture est elle-même une puissante éditrice de livres (Actes Sud). Elle vient d’être dessaisie de ce secteur pour cause de risque de conflit d’intérêts, puisqu’elle reste actionnaire de son groupe par alliance.

 

  • Marc Schwartz, énarque, a été associé du cabinet Mazars régulièrement chargé d’études par le Conseil Supérieur des Messageries de Presse, négociateur des accords avec Google en faveur de la presse. Médiateur du Livre de 2016 à 2017, il a rédigé la plateforme culturelle d’Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle.

 

  • Lagardère, opérateur historique des NMPP devenues Presstalis, n’a plus qu’une activité mineure dans la presse, ayant cédé l’essentiel de ses magazines en France et à l’international, alors que sa très puissante filiale Hachette Livre domine largement le monde de l’édition. Sa filiale Lagardere Retail (Relay) est le principal contributeur aux bons résultats du groupe en 2017, proposant conjointement une offre de presse (de plus en plus référencée) et une offre de librairie.

 

  • L’organigramme de Presstalis se lit comme un transfert des cadres de Hachette Livre. Le modèle clairement adopté pour le redéploiement de l’activité de la messagerie en difficulté, est celui du livre, comme le prouvent les revendications de sa présidente, Michèle Benbunan, favorables au développement de points de vente thématiques et de vente de la presse en grandes et petites surfaces de libre-service.

 

  • Enfin la « grande » presse fait actuellement tout pour se faire détester du pouvoir et on peut douter que M. Schwartz ait pour consigne de lui faire des cadeaux… La suppression des aides et subventions directes à la presse IPG – forcément en balance avec le soutien réaffirmé à sa libre distribution à la charge des autres éditeurs et avec le soutien de l’Etat dans les négociations sur les droits au niveau européen – se lit clairement en creux dans son rapport.

 

Un modèle pour la presse ?

 

Le livre est un secteur libéralisé où les acteurs de la distribution, dont au premier plan Hachette Livre, prélèvent une part du prix payé par l’acheteur élevée et sans commune mesure avec ce qu’une messagerie peut prétendre prélever sur la presse. La commercialisation devient à ce titre la force majeure des distributeurs dans un contexte libéral, et le libraire dont l’engagement sur l’achat est définitif dispose de moyens de négociation (il choisit son assortiment, dispose d’une capacité de réassort rapide, et peut opérer des retours sous conditions).

S’il y a bien un médiateur, il y a peu de divergences de modèles économiques, le prix unique  du livre officiant comme juge de paix d’une certaine auto-régulation.

 

Las ! S’il faut conserver une presse d’information politique et générale dont la libre diffusion aurait un caractère constitutionnel, mais laissée à la charge de tous parce que vendue à perte, et plusieurs canaux de répartition chez les éditeurs ceci ou cela, et chez les marchands, kiosques, GMS… il faut conserver une régulation afin de répartir les charges et les ressources entre les uns et les autres. Le rapport préconise ainsi par souci d’économie (pas d’organisme nouveau, petit budget) d’utiliser l’ARCEP en lieu et place du couple mal assorti CSMP/ARDP, dont plus personne ne veut, mais en écartant la profession (on laissera juste remuer quelques grands personnages dans une comité consultatif…).

 

A ce titre, le rapport de M. Schwartz est bien un chiffon rouge agité sous le nez de la profession. Mais qu’on ne s’y trompe pas : en creux sous ce texte, le modèle du livre ne peut s’imposer que si l’alternative à l’avant-projet de loi Schwartz est une suppression pure et simple de la loi Bichet.

 

N’est-ce pas ce qui se dessine ? Et n’est-ce pas ce à quoi les pouvoirs publics souhaitent conduire les différentes parties en présence ?

 

Philippe Loison

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