Préambule n°3 à la Contribution SAEP dans le cadre de la Consultation publique sur le rapport de la mission de M. Schwartz

La PQN a toujours eu les moyens de sauver la loi Bichet

 

La presse des riches ?

 

Sur la base des chiffres 2018 du Top 500 des fortunes françaises oublié par le magazine Challenges, la fortune estimée des entrepreneurs français ayant une participation directe au capital des titres de la Presse Quotidienne Nationale représente plus de 150 milliards d’euros.

 

En effet, à l’exception de l’Humanité, la Presse Quotidienne Nationale (Les Echos, Le Monde, Libération, Le Figaro, Aujourd’hui en France…) est dans son intégralité sous la dépendance directe des grandes fortunes de l’industrie, des télécoms, du luxe, de la distribution, des transports…

 

L’objectif 7 de la plateforme culturelle d’En Marche ! (rédacteur Marc Schwartz) précise le projet présidentiel de manière on ne peut plus claire : « Aujourd’hui, la présence d’actionnaires industriels et financiers au capital de groupes de presse est une réponse aux difficultés économiques de la presse. Mais elle est source de soupçons sur la réalité de l’indépendance des rédactions et la liberté de la presse. (…) Demain, nous garantirons l’indépendance éditoriale des médias d’information et faciliterons leur migration numérique. ».

 

De tous temps, la presse d’information politique a été soumise aux fantaisies des grandes fortunes capables d’en financer le coût élevé dans le but d’influer sur l’opinion ou de servir de porte-parole pour un courant d’idées ou pour un parti. Il n’est pas étonnant que ce soit aujourd’hui les patrons des grandes entreprises nationales qui poursuivent cet objectif. Le fameux « quatrième pouvoir » est davantage laissé aux rédactions elle-mêmes, qui y développent curieusement un « journalisme à charge » qui minimise l’influence des propriétaires sur le contenu éditorial. Celle-ci consiste surtout pour eux à n’y pas voir froisser leurs propres opinions ou traiter de leurs affaires. Quelques rivalités de personnes s’y expriment parfois dans des titres concurrents, mais le silence prévaut davantage que les grandes révélations. La bagarre entre puissants se déroulant en coulisse favorise plutôt l’omerta.
On peut à ce titre remarquer que la Presse Quotidienne Nationale a été bien peu bavarde voire totalement mutique sur l’affaire Presstalis, sans doute du fait d’un sens aigu de sa responsabilité dans la cessation de paiement de la messagerie.

 

Le programme présidentiel sur la garantie d’un « indépendance éditoriale des médias d’information » apparaît ainsi davantage un vœu pieux qu’un projet réaliste, à moins de se contenter d’éviter une future concentration des titres. La République en Marche a d’ailleurs renoncé pour l’heure à créer son propre Media, un peu paradoxal dans le contexte du principe énoncé.

 

Ce passage programmatique sans doute écarté, le rapport de la mission Schwartz s’est davantage préoccupé de « faciliter la migration numérique » de la presse, en consacrant un article de l’avant-projet de loi à ce thème, dans la droite lignée des négociations menée par M. Schwartz avec Google pour le compte des mêmes il y a quelques années, et en vue de négociations européennes à venir sur les droits voisins de la presse.

 

Comme l’a détaillé le sénateur Michel Laugier dans son rapport de novembre 2017, la Presse Quotidienne vit sous la perfusion de centaines de millions d’euros d’aides directes et indirectes, aux objectifs parfois contradictoires. Les résultats de leurs sociétés éditrices, à l’équilibre voire positifs, résultent ainsi d’un abondement par la collectivité nationale.…

Et par l’ensemble des éditeurs de la presse magazine !

 

En effet, la taxe qu’est la péréquation (1,3 % des ventes montant fort, soit de 2 à 2,5 % du chiffre d’affaires des éditeurs) prélevée sur la totalité de la presse non quotidienne représente une contribution annuelle de 12 à 15 millions d’euros en faveur des quelques titres qu’il est nécessaire de distribuer quotidiennement vers les points de vente depuis les imprimeries.

 

Solidarité bien ordonnée…

 

La péréquation a été décidée sous l’égide de la « solidarité coopérative » inscrite dans la loi, une formule interprétée avec talent pour mettre tous les éditeurs à contribution, mais qui est directement mise à mal par la volonté de la Presse Quotidienne de s’accaparer les aides directes à la presse au moyen de la définion de presse d’information politique et générale (IPG) qu’elle se réserve en majeure partie.

 

La PQN a pourtant tout à fait les moyens de faire appel à ses propriétaires pour financer le surcoût de sa distribution, négligeable au regard de leur fortune, et qui représenterait une réelle « solidarité coopérative » vis-à-vis des éditeurs indépendants de la presse à centre d’intérêt, afin de défendre un secteur marchand. Au contraire, bénéficiant d’un traitement de faveur sur ses barèmes de distribution, la Presse Quotidienne semble tout faire pour hâter la disparition des éditeurs les plus faibles et capter leurs lectorats spécialisés.

 

D’autre part, en réorganisant les aides qu’il distribue un peu à tort et à travers pour subventionner la Presse Quotidienne, l’Etat pourrait financer directement – s’il ne souhaite pas laisser aux milliardaires le soin de l’assumer –, le surcoût spécifique de la distribution de la PQN.

 

Nous avons déjà auparavant exprimé nos points de vue à ce sujet :

 

– les aides directes à la presse (hors TVA réduite et tarifs postaux Presse) doivent être supprimées, la Presse Quotidienne ayant largement les moyens de ses ambitions quelles qu’elles soient.

 

– la péréquation est un procédé inique qui se réclame d’une « solidarité coopérative » abusivement interprétée, et elle doit être supprimée.

 

– la qualification de « presse d’information politique et générale » est discriminatoire et ne reflète pas l’importance de la presse spécialisée dans la diversité culturelle et sociale du pays et dans la libre diffusion de la pensée et des opinions, jugée essentielle à la démocratie républicaine.

 

La prise en charge des flux chauds de la distribution, nécessaires à une certaine catégorie de presse, ne doit faire porter ses coûts qu’après des éditeurs qui en ont besoin. Si une réforme était envisagée sous cet angle, la Presse Quotidienne Nationale se trouve depuis toujours posséder les moyens de sauver la pluralité démocratique et la loi Bichet.

 

 

Philippe Loison

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