Préambule à la Contribution SAEP dans le cadre de la Consultation publique sur le rapport de la mission de M. Schwartz

1 août 2018

 

Préambule à la Contribution SAEP dans le cadre de la Consultation publique sur le rapport de la mission de M. Schwartz

 

Une mission respectée à la lettre

 

La lettre de mission du Ministère des Finances et du Ministère de la Culture à M. Marc Schwartz, conseiller-maître à la Cour des Comptes, affirme en préambule que « la pérénnité et l’adaptation du système de distribution de la presse vendue au numéro constituent un enjeu démocratique majeur » et que celui-ci « appelle une nouvelle phase d’évolution de son modèle industriel » et « une réflexion approfondie sur l’adaptation des principes sur lesquels il se fonde depuis la loi Bichet de 1947 ».

 

Dans le rapport de mission remis par M. Schwartz ne figure aucune mention de la messagerie Presstalis, mais la situation de cette société, engagée dans un plan de redressement – dont M. Schwartz est en charge du suivi –, se lit en filigrane de ce rapport.

 

En effet, il est probable que le sort de cette société soit scellé depuis la remise du rapport de M. Rameix, qui n’a pas été communiqué publiquement sans doute pour cette raison. En tout état de cause,  les pouvoirs publics ne peuvent que constater aujourd’hui que le plan de redressement de la messagerie, contesté en justice, ne pourra pas aboutir à la reconstitution de ses fonds propres et qu’une liquidation est fortement probable, ainsi que la contrainte d’une renégociation par l’Etat de sa dette avec ses créanciers.

 

Dans les détails des termes de la lettre de mission :

 

  • « L’enjeu démocratique majeur » qu’évoque la lettre de mission concerne prioritairement la distribution de la Presse Quotidienne Nationale. La presse magazine à centre d’intérêt et les produits assimilés, relevant au mieux d’une certaine pluralité culturelle et au pire du divertissement, ne sont considérés que parce qu’ils financent le système.

 

  • « La pérénnité (…) du système de distribution de la presse» à garantir par une réforme ne concerne par conséquent que la capacité à voir la Presse Quotidienne Nationale continuer à faire porter le coût prohibitif de sa distribution au système de distribution dans son ensemble par le procédé de la péréquation.

 

  • Son « adaptation » répond au vœu exprimé par le distributeur de la Presse Quotidienne Nationale, la messagerie Presstalis, et par les éditeurs majors de la Presse Magazine de libéraliser la distribution, via des sociétés de leur choix n’ayant plus le caractère coopératif égalitaire et obligatoire des messageries « Bichet » et vers un maximum de points de vente proposant non plus l’ensemble de l’offre de presse mais une sélection de publications, que l’on nommera un assortiment négocié avec le marchand de presse, alors qu’il s’agira en fait d’un référencement par l’éditeur ou son distributeur.

 

  1. Schwartz a parfaitement suivi les consignes qui lui ont été données.

Sont donc écartées dans son rapport de mission :

 

  • la situation de la messagerie Presstalis ;

 

  • la PQR et la PHR dont la distribution locale prise en charge par les éditeurs eux-mêmes échappe au périmètre de la messagerie Presstalis, et par extension apparemment aux nécessités d’une révision de la loi Bichet ;

 

  • la distribution hors « vente au numéro » et notamment l’abonnement, le portage, la distribution numérique, dont les recettes croissantes, directement concurrentes de la vente au numéro pour la Presse Quotidienne Nationale, constituent le principal facteur de baisse de la fréquentation des points de vente au détriment de l’ensemble de la distribution.

Leurs ressources ne sont donc pas évoquées comme un potentiel moyen de compensation, via des mesures d’équilibrage, du surcoût qu’elles engendrent pour le réseau.

 

  • M. Schartz n’omet pas cependant qu’il a été le négociateur des accords des éditeurs de la Presse Quotidienne Nationale avec Google, à leur bénéfice quasi-exclusif, et intègre la diffusion numérique de ces journaux dans son rapport sous l’angle d’une « obligation pour tout service de communication au public en ligne assurant la diffusion numérique groupée de titres de presse (via un kiosque) de diffuser les titres d’information politique et générale qui le souhaitent. » Sans préciser si elle sera à la charge du kiosque numérique ou de l’ensemble des éditeurs…

 

La mission de M. Schwartz se trouve écartelée entre :

 

  • la mise en place d’une législation préfigurant la diffusion majoritaire de la Presse Quotidienne Nationale de manière dématérialisée (avec en perspective les négociations à venir au niveau européen avec les GAFA),

 

  • l’obligation, jugée constitutionnellement incontournable et garante de la démocratie républicaine, de conserver une diffusion des titres IPG vendus au numéro partout où leurs éditeurs « le souhaitent »,

 

  • la nécessité d’en financer les coûts de distribution sans charge supplémentaire pour l’Etat et pour les éditeurs de la Presse Quotidienne Nationale, c’est-à-dire en laissant le « système » , soit essentiellement la Presse Magazine assumer ces coûts à leur place.

En échange cet effort, les éditeurs majors de la Presse Magazine se verrait remerciés par la généralisation dans la loi de leur expérimental « projet Supérettes » sous la forme d’une libéralisation totale de la diffusion des publications, sous couvert d’un contrôle assez énigmatique par l’ARCEP avec la contribution de la Commission paritaire, dont ils maîtrisent les règles et les décisions.

 

Dans les faits, l’avant-projet de loi veut équilibrer dans le même ensemble :

 

  • une distribution sous contrôle de la Presse Quotidienne Nationale vendue au numéro, mais qui restera largement déficitaire,

 

  • une distribution libérale de la presse « Commission Paritaire » lui permettant de développer le référencement des publications, exigé pour partie par la grande distribution.

 

  • une légalisation du concept de presse d’information politique et générale (IPG) dans la perspective des négociations à venir sur des taxes appliquées aux kiosques numériques en faveur de leurs éditeurs.

 

Alors que des analogies évidentes du marché de la presse avec le livre, le cinéma ou la musique sur le plan des « produits culturels » pouvaient être retenues et servir d’exemple pour une répartition des ressources entre supports de commercialisation différents, c’est avec les timbres et la fibre optique que la presse se trouve assimilée dans l’avant-projet de loi, avec pour régulateur le « gendarme des télécoms ».

 

Avant de revenir en détail dans une contribution à la consultation publique, le SAEP reconnaît que le rapport de M. Schwartz ne s’écarte pas de sa lettre de mission.
Mais ses donneurs d’ordre ont mal interprêté les enjeux d’une libéralisation ou d’une réforme de la filière de distribution de la presse, en donnant la priorité à une vision technico-économique de la vente au numéro, et à une notion très restrictive et fortement discriminatoire de la presse d’information politique et générale. De fait, l’avant-projet de loi proposé par M. Schwartz ne peut pas répondre en l’état aux enjeux du secteur.

 

La question qui se pose est donc de choisir entre :

 

  • l’abandon pur et simple de la loi Bichet dans son intégralité, dans un esprit de libéralisme clairement assumé par la majorité au pouvoir, en prenant pour acquis que les deux premiers articles de la loi sur la liberté d’éditer et de distribuer la presse sont couverts par la Constitution. A chacun alors d’en assumer les conséquences.

 

  • la rédaction d’une véritable loi sur la presse, qui inclura toutes ses composantes, tous ses modes de commercialisation et de distribution, tous ses moyens de financement, et qui autorisera une régulation éclairée où la profession pourra jouer un rôle central, comme elle a pu le faire dans le cadre des fondamentaux de la loi Bichet depuis 1947.

 

Philippe LOISON

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