Les petits et moyens éditeurs spoliés de plusieurs dizaines de millions d’euros depuis des années

10 février 2017
Les petits et moyens éditeurs spoliés de plusieurs dizaines de millions d’euros depuis des années

Evoquée lors de l’Assemblée Générale de MLP en juin 2016, confirmée ensuite par la nouvelle gouvernance de cette messagerie et portée à la connaissance du Ministère de la Culture par le SAEP début décembre, l’existence de « contrats particuliers hors barème», négociés par certains grands groupes de presse avec les messageries de presse a été immédiatement condamnée par le représentant du gouvernement auprès des instances de régulation de la filière.

En pratique, dans un contexte de concurrence entre les messageries de presse, celles-ci ont accordé à leurs plus gros clients des « remises » pour en conserver ou en acquérir la clientèle. Ces remises, versées annuellement en déduction des sommes que versent les éditeurs au titre des barèmes applicables à tous les coopérateurs, sont totalement illégales, et, parce qu’elles sont ponctionnées sur la trésorerie collective des éditeurs au sein de chaque messagerie coopérative, constituent en l’espèce un abus de biens sociaux.

Le CSMP, feignant comme d’ordinaire de découvrir avec surprise des pratiques qu’il ne pouvait ignorer, dans sa décision N° 2016-02, « fait opposition à toute décision des sociétés coopératives de messageries de presse et/ou des entreprises commerciales mentionnées à l’article 4 de la loi du 2 avril 1947 qui aurait pour objet ou pour effet de consentir, à un ou plusieurs éditeurs de presse, des conditions non prévues au tarif public des prestations de groupage et de distribution de la messagerie, tel qu’adopté dans le cadre de l’article 12 de la loi du 2 avril 1947, et notamment des rabais, ristournes, modulations ou autres avantages tarifaires. »

Compréhensif, dans la suite de cette Décision, le CSMP aménage la sanction inévitable dans une savoureuse périphrase dont il a le secret : « Eu égard au délai nécessaire pour mettre fin de manière ordonnée aux accords ou arrangements (…) le CSMP demande à chaque messagerie de presse de lui confirmer par écrit, pour le 30 juin 2017 au plus tard, qu’il n’est fait application, au sein de la messagerie, d’aucune condition privilégiée non prévue au tarif public des prestations de groupage et de distribution. »

Le « délai nécessaire pour mettre fin de manière ordonnée aux accords ou arrangements qui pourraient avoir été conclus » est en fait accordé par le CSMP pour permettre aux deux messageries d’aménager leurs barèmes afin que les remises préalablement accordées de manière illégale aux grands éditeurs qui en bénéficiaient soient désormais directement intégrées aux barèmes.
Ainsi les nouveaux barèmes votés en Assemblée Générale par les éditeurs de la messagerie MLP le 7 février instaurent pour les tranches supérieures de chiffre d’affaires une remise de fidélité qui permettra aux entreprises concernées une économie équivalente à la remise illégale perçue auparavant. Des mesures comparables seront sans doute incluses dans une prochaine révision des barèmes de Presstalis.

Bien que les dirigeants de MLP aient légitimement refusé aux éditeurs réunis en AG le 7 février, au titre de la confidentialité des contrats litigieux, de révéler quelles entreprises en bénéficiaient, ils n’ont pu éviter de répondre à la question de savoir combien d’entreprises au sein de la coopérative étaient concernées par la nouvelle tranche des barèmes destinée aux entreprises réalisant un CA supérieur à 40 millions d’euros. La réponse étant « deux », il est possible à tout un chacun d’identifier les deux entreprises en question par simple déduction au vu de leur surface financière, et de remarquer qu’elles sont dûment représentées par leur responsables syndicaux voire par elle-mêmes au sein du CSMP. L’ignorance de l’existence de ces « contrats particuliers », répétée à plusieurs reprises par les dirigeants du CSMP, est donc pour le moins douteuse et confinerait à un singulier aveuglement.

Dans le compte rendu du 12 décembre 2016 de la Commission de suivi de la situation économique et financière des messageries au sein du CSMP, un nouvelle périphrase à l’alinéa 5 : « La Commission a pu, à l’occasion de ses travaux ultérieurs, se convaincre que de tels « accords privilégiés » pourraient ne pas être limités aux seules MLP » En clair, le CSMP a également « découvert » qu’il existait des « contrats particuliers » au sein de la messagerie Presstalis.

Tout ce beau monde craint surtout de devoir répondre en justice des faits avérés, qui ne sont pas prescrits, et de devoir restituer l’intégralité des sommes détournées, soit plusieurs dizaines de millions d’euros, à la communauté des éditeurs des deux messageries de presse.

Le SAEP constate que le CSMP, contrôlé de fait par une demi-douzaine de grands groupes d’édition, se trouve juge et partie dans toutes les décisions prises pour ponctionner les éditeurs dans leur ensemble au titre de la défense économique de la filière. Dans le même temps, certains de ces groupes pourraient donc avoir illégalement « tapé dans la caisse », alors même que l’Etat est mis à contribution à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros par an pour soutenir la filière ?

Pour les petites et moyennes entreprises de presse réunies au sein du SAEP, l’affaire des « contrats particuliers » révèle une nouvelle fois l’incapacité du CSMP dans sa composition actuelle à exercer le rôle de contrôle d’une application juste et impartiale de la loi Bichet. Nous ne pouvons que constater une dérive de plus en plus menaçante pour les dizaines de milliers d’emplois que représentent nos centaines de publications de presse indépendantes, leurs imprimeries, leurs dépositaires et leurs diffuseurs marchands de journaux.

Nous en appelons aujourd’hui à l’Etat – en vertu de l’Article 16 de la loi Bichet – pour qu’il fasse la lumière sur les dizaines de millions d’euros qui ont été distribués à certains des plus coûteux acteurs de la filière de distribution de la presse au détriment de l’ensemble de cette filière, et de nos entreprises en particulier.

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